Malades des pesticides

L’environnement n’aura pas été le centre d’intérêt des élections présidentielles françaises, loin s’en faut. Malgré les efforts de la Fnab et de son président, l’agriculture biologique a été peu citée par les candidats. Faut-il en conclure que ce mode de production est rentré dans les habitudes (vision positive)? Disons que la crise économique est passée par là… Néanmoins, si cette crise a ramené les électeurs vers des préoccupations plus éloignées de l’environnement, celui-ci pourrait se rappeler à leur bon souvenir lors d’accidents climatiques (sécheresse…), de pénalités imposées par Bruxelles concernant le mauvais état de la qualité de l’eau en France, etc. Cependant, il se pourrait que la prise en compte de l’environnement et de la santé provienne d’où on l’attend peu : des agriculteurs eux-mêmes. Des films et des documentaires relatifs aux dangers liés aux pesticides et à la puissance du système économique dont ils font partie sont produits depuis quelques années, dont notamment celui de Jean-Paul Jaud « Nos enfants nous accuseront ». L’association Générations futures alerte régulièrement sur ces dangers. Avec toutefois une inflexion… De plus en plus, les agriculteurs conventionnels ne sont pas présentés comme « les pollueurs » mais comme les victimes du système. Une manifestation a notamment eu lieu dans ce sens au Salon de l’agriculture en février dernier, orchestrée par Générations futures et donnant la parole à des agriculteurs malades des pesticides. Un documentaire a été diffusé le 17 avril sur une chaîne nationale. Si la position consistant à considérer les agriculteurs comme des pollueurs se traduit naturellement par une crispation, celle qui les montre comme des victimes pourrait éveiller les consciences et ouvrir la parole. Il me semble en effet que les agriculteurs touchés dans leur santé ou celle de leur famille par les effets négatifs des pesticides sont plus nombreux qu’on pourrait le croire. Néanmoins, pour ceux qui sont encore en activité, il leur est difficile de changer radicalement de système de production, d’autant plus que les techniques qui permettent de se passer des pesticides ont été en partie oubliées, que certains de leur entourage professionnel n’y ont pas intérêt et que, notamment pour les céréaliers, la notion de production suffisante est très ancrée et souvent accompagnée de la responsabilité de « nourrir le monde ». Sur cette dernière vision, la divergence est grande entre les productivistes et les écologistes, ces derniers mettant plutôt en avant le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. En revanche, sur la notion de production suffisante à l’échelle française (rappelons que les rendements en céréales biologiques, en France, sont nettement inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle, même si ce n’est pas le cas pour toutes les productions), la responsabilité d’instaurer un modèle plus écologique n’incombe pas qu’aux seuls agriculteurs, mais à l’ensemble de la société, car cela implique de revoir l’organisation du territoire, de sauvegarder les bonnes terres agricoles et de revoir les modes de consommation (moins de viande, plus de produits locaux et de saison…).
Quoiqu’il en soit, il me semble important de diffuser les techniques de l’agriculture biologique et de l’agro-écologie (agroforesterie…), sans crisper mais en favorisant une réflexion plus globale, afin de préserver la santé en général, celle de l’environnement et celle des personnes, dont les plus exposées, les agriculteurs.


Sophie Valleix, Responsable d’ABioDoc

Numéro 177 - Avril 2012