Présomption de compétence

Auparavant, et dans un temps pas si lointain, la connaissance était produite par des élites (les scientifiques), qui la transmettaient aux personnes relais (en agriculture, les techniciens) jusqu’aux citoyens de base (les agriculteurs). De même, les décisions d’orientations étaient prises par des élites, qui eux savaient mieux que les autres les choix qui étaient les bons.

En agriculture, l’itinéraire technique du blé, par exemple, était le même pour tous, avec quelques variantes régionales que connaissait le technicien : appliquer tel fertilisant / désherbant à telle dose à tel moment…

Aujourd’hui, les problèmes environnementaux et de santé publique remettent en cause ce schéma. Il ne doit plus y avoir un itinéraire identique pour tous, mais l’adapter à chaque région, chaque système d’exploitation, chaque parcelle… Et ça complique énormément ! La difficulté de l’agriculture biologique dans ce domaine devient la difficulté de l’ensemble de l’agriculture. Et il faut alors remettre en cause le schéma précédent et tenir compte de chaque expérimentation ou observation du terrain, susceptible d’être utilisée ailleurs. L’itinéraire technique de mon blé utilisé dans une zone géographique de sols fins et caillouteux (oui, c’est un peu limite pour le blé !) sera susceptible d’intéresser une exploitation située dans une zone totalement différente mais qui dispose de peu de terres labourables dont certaines ayant ces caractéristiques. Et si cette exploitation recherche l’autonomie alimentaire de son troupeau de moutons (par exemple) et souhaite cultiver ces terres malgré leur faible potentiel, elle sera fortement intéressée par l’expérience de la première région.

Du coup, la connaissance est partout et elle est susceptible de servir au plus grand nombre. Et du coup, il faut revoir les schémas de transfert de l’information. Et dans ce domaine, nous devons passer, comme l’écrit le philosophe Michel Serres dans « Petite Poucette », d’une présomption d’incompétence à une présomption de compétence. Nous devons passer du temps des bureaucrates, professeurs, scientifiques… qui savent et qui « imposent leur puissance géante en s’adressant à des imbéciles supposés, nommés grand public », au temps des citoyens informés par Internet, les réseaux sociaux et par leur propre expérience et qui « pourront et peuvent détenir au moins autant de sagesse, de science, d’information, de capacité de décision » que ceux qui détenaient auparavant le savoir.

Au niveau de l’agriculture biologique, on peut constater que les associations (syndicats d’agriculteurs, de transformateurs et distributeurs…) font entendre leur voix, au milieu de celles des chercheurs, organisations professionnels, instituts… tant aux échelles locale que nationale ou européenne. Cela conduit parfois à des tensions ou des cacophonies mais, d’une part, on ne change pas un système aussi facilement et, d’autre part, lorsque les voix s’organisent entre elles, il me semble qu’elles sont de plus en plus écoutées par ceux qui prennent les décisions. C’est notamment le cas d’Ifoam France et de son action à l’échelle européenne.

Ce contexte suppose de nouvelles organisations d’acteurs pour identifier, collecter, stocker et diffuser l’information. C’est ce qu’ABioDoc et le Pôle AB MC se proposent de tester, à l’échelle Massif Central, dans le cadre d’un projet intitulé BioTransfert, et à l’échelle nationale, dans le cadre du projet Valomieux piloté par l’ITAB et auquel participent aussi Formabio et IBB (Initiative Bio Bretagne). Beaucoup d’éléments restent à construire, à inventer, dans un monde où les nouvelles technologies offrent des possibilités inégalées auparavant…

Sophie VALLEIX

Responsable d’ABioDoc